Les illustrations présentes sur les jaquettes des boites de jeux vidéo ont de nombreux mystères à nous révéler. Que leur auteurs soient des artistes connus (rarement) ou anonymes (le plus souvent), qu’elles s’inspirent du cinéma ou de couvertures de romans, elles ont pour mission de forger aux jeux une identité visuelle et de donner envie d’acheter le jeu. Voyons donc cela…
Les couvertures des jeux vidéo font partie du patrimoine vidéoludique. Autant les héros et personnages que nous pouvons contrôler nous permettent immédiatement de nous remémorer les jeux auxquels nous avons pu jouer dans notre tendre enfance, autant le visuel présent sur les boites pouvait déclencher un lien émotionnel très fort entre le joueur et le jeu. Ceci que l’on aime ou pas le jeu, d’ailleurs !
Parce que même les daubes infâmes auxquelles on a pu jouer, on se souviendra de la jaquette ! Est-ce que c’était un plombier moustachu à dos de dinosaure ? Un bolide futuriste fonçant à toute vitesse ? Deux loubards à tête de punks se confrontant du regard ? Un robot soldat en train de sauter vers des ennemis ? Une gentille gargouille verte esquissant un large sourire ? Un barbare armé d’un fouet partant à l’assaut d’un gigantesque château ? Un personnage bleu mi homme mi hérisson tendant trois doigts écartés ? Un ninja musculeux et encagoulé tenant un kunai au milieu d’imposants gratte ciels ? Ou bien encore un magicien brandissant sa baguette magique en se tenant debout sur deux blocs flottant dans les airs ?
Nul doute que la plupart d’entre vous visualisera parfaitement les jeux en question, rien qu’en ayant lu ces descriptifs sommaires. Quelle en est la raison ? C’est tout simplement parce que les jaquettes représentent le premier contact entre le joueur et le jeu. Avant d’y jouer et d’en connaître les musiques et le contenu, le joueur voit la couverture du jeu et peut dès cet instant faire fonctionner son imaginaire, et se projeter dans un univers où tout est possible. Même chevaucher des dinosaures, piloter des bolides futuristes ou combattre des robots ou des aliens pour défendre l’humanité. Il faut comprendre qu’à l’époque où nous étions enfants (et même encore aujourd’hui !) nous avions accès à un nombre de jeux très élevé, mais disposions d’une maigre bourse. Il nous était donc impossible de jouer à tous les softs que l’on avait devant nous (à moins de braquer le magasin, ou d’être un descendant de la famille Rockefeller ;).
Dès lors, comment faire son choix ? Certes, le bouche à oreille marchait pas mal. Si un copain ou un camarade de classe nous disait qu’il avait acheté un jeu génial, on savait qu’on ne prenait pas trop de risques en choisissant le même. Parfois, on avait même la chance de le tester chez lui avant d’effectuer l’achat. Et puis il y avait aussi la presse spécialisée. Un jeu bien noté dans un magazine était une garantie de ne pas être déçu par son achat (normalement…car il y a des exceptions ;).
Mais rendons nous à l’évidence. Confronté à des étals de magasins, entouré d’une jungle de jeux tous plus attirants les uns que les autres, quel a été bien souvent été le premier critère nous faisant acheter un jeu et pas un autre ? La jaquette ! En sélectionnant la boite dont la jaquette nous plaisait le plus ! Qui n’a pas passé des heures dans des magasins de jouets ou en grande surface à contempler des dizaines de boites de jeux, parfois enfermées dans des vitrines (ce qui empêchait toute manipulation le joueur, qui ne pouvait que mater les boites la bave aux lèvres). Quand enfin on faisait notre choix, et que le vendeur venait ouvrir la vitrine avec sa clef pour nous remettre le jeu choisi, ce moment était magique et mémorable. Nous avions sélectionné le jeu en grande partie parce que l’illustration présente sur la jaquette nous avait séduits, et bien entendu le jeu n’avait pas intérêt à nous décevoir en rentrant à la maison !
Nous comprenons bien l’intérêt des éditeurs à proposer des jaquettes toujours plus belles et plus dynamiques, pour se démarquer de la concurrence et faire en sorte que son produit se vende mieux que ceux des autres éditeurs. Parfois, les illustrations présentes sur les boites seront « classiques » (c’est-à-dire qu’on aura des types baraqués sur la boite pour un jeu de baston, ou bien un vaisseau spatial pour un shoot them up) et parfois les illustrations seront beaucoup plus originales, sur un ton décalé.
En tout état de cause, les visuels présents sur nos jeux vidéo peuvent marquer un joueur, et ce qui est encore plus étonnant, c’est quand pour un même programme, les éditeurs sont amenés à faire des choix de visuels différents en fonction du territoire dans lequel leur jeu sera commercialisé. On pense immédiatement à la censure, mais il ne faut pas non plus négliger l’adaptation des éditeurs à « la culture présumée » des pays dans lesquels il vend ses produits. Par exemple, le style graphique « manga » se voyait très peu sur nos boites de jeux françaises au début des années 90, mais les éditeurs n’hésiteront plus à laisser un « aspect manga » sur les jaquettes à partir des années 2000 et de l’engouement grandissant des Frenchies pour l’animation japonaise et la culture nippone en général.
Au sein de cette rubrique « Si une jaquette m’était contée », Player Spirit tentera de vous présenter dans chaque numéro quelques illustrations de jeux vidéo (connus ou non) et d’en faire une analyse complète, afin de vous faire découvrir ou re-découvrir des aspects inconnus liés à cette jaquette.
Nous commencerons pour ce premier numéro par analyser la jaquette de Fortified Zone de Jaleco, paru sur Game Boy en 1991. Ce jeu est connu au Japon sous le nom d’Ikari no Yousai, qui est au pays du Soleil Levant une franchise à part entière comprenant 3 épisodes (deux sur Game Boy et un sur Super Nintendo). Etudions un peu le cas du premier épisode.
Alors que les jaquettes japonaise et occidentale de ce jeu semblent a priori bien différentes, si on les analyse un peu plus longuement, nous nous rendront vite compte que sur le fond : elles sont l’une et l’autre parfaitement identiques. D’un côté comme de l’autre, nous notons :
Sur le plan avant, les personnages principaux :
1°) un mec baraqué vêtu d’un treillis mais torse à poil, armé d’une arme automatique de très gros calibre, avec des centaines de munitions bien visibles sur son torse. Bref, un soldat paré pour faire la guerre 😉
2°) une nana à ses côtés vêtue d’une veste en jean et d’un short ultra-court. Elle aussi et équipée pour la guerre, et tient un gros gun dans la main, doigt sur la détente, prête à flinguer n’importe quel agresseur.
A l’arrière plan, le décor dans lequel l’action se déroule :
3°) une montagne rocheuse en arrière plan, massive et imposante
4°) une forêt luxuriante située aux pieds de cette montagne
5°) une attaque massive de militaires sur les deux héros avec présence d’infanterie + tanks. On comprend mieux que les personnages principaux soient aussi lourdement équipés lorsqu’on voit la quantité de soldats qui viennent attenter à leur vie ! C’est pire que dans Rambo III là !
- En somme, il n’y a que le style graphique qui change, car à part cela, nous notons une symétrie parfaite entre les illustrations japonaises et occidentales : tous les éléments visuels restent les mêmes d’une jaquette à l’autre.
Fortified Zone / Ikari no Yousai est un jeu d’action dont le visuel correspond parfaitement aux codes de l’époque de la fin des années 80, notamment dans l’industrie cinématographique, avec le cliché du héros « dur à cuire » posant avec un flingue et accompagné d’une fille qui le seconde. Prenons par exemple les affiches de la plupart des films de Steven Seagal, qui correspondent parfaitement à ce cliché.
Mais même avant le cinéma d’action des années 80, des affiches de films de western proposaient déjà ce type de mise en scène. Et puis si on dit affiche de cinéma avec un homme et une femme qui tiennent un fusil, il est impossible de ne pas penser à ça :
Dans le jeu vidéo nous retrouvons le même principe qu’au cinéma : l’époque voulait que le héros soit armé et « viril » et secondé d’un pote ou d’une copine. Les exemples proches de Fortified Zone sont légions, en voici quelques-uns. Comme vous le constatez, tels les héros de Fortified Zone, il est fréquent de trouver des jaquettes où les soldats sont torse nus et armés jusqu’aux dents. Notons qu’ils sont parfois plus habillés mais toujours en treillis militaires.
Mais il est temps de revenir à Fortified Zone, qui n’a pas fini de nous dévoiler tous ses secrets !
Les affres de la censure
Il est maintenant temps de comparer les 2 jaquettes qui sont parues à l’international, hors des frontières japonaises. Si à première vue le dessin est identique, il n’en est rien ! Probablement sous la pression de Nintendo Europe, l’éditeur a redoublé d’imagination pour retoucher l’illustration originale et en atténuer la violence.
1°) La première chose qui saute aux yeux, c’est le déplacement du titre du jeu. Jusque là il était situé sur le haut de la jaquette, et masquait quelque peu la montagne au loin. Le titre est dorénavant situé en plein milieu de la boite, ce qui masque complètement l’énorme sulfateuse que tenait le héros.
2°) Nous observons aussi un zoom très net sur les 2 personnages. Cet effet de zoom est bien entendu volontaire de la part de l’éditeur, car cette astuce exclue de facto les soldats et les tanks du champ de vision.
3°) La fille portait un flingue sur l’illustration originale, et cela ne correspondait probablement pas avec l’image gentille et douce qu’est censée représenter la gent féminine. Comment faire pour le masquer ? Simple, il suffit de déplacer le logo Game Link pile poil à l’endroit où l’arme de poing se situait, et hop le tour est joué !
Nous relevons néanmoins une incohérence graphique car la crosse de l’arme est toujours visible 😉 Avoir une crosse autour du doigt mais d’arme dans la main, c’est ballot quand même.
4°) Toujours en ce qui concerne la fille, les plus observateurs d’entre vous (et les plus vicieux^^) auront aussi remarqué que le haut de ses seins était visible sur l’illustration originale, alors que sur l’image retouchée, le titre du jeu vient complètement les camoufler. Là encore, il n’est pas difficile d’imaginer que l’éditeur a été victime de pressions extérieures, probablement de la part de Nintendo lui-même, qui l’ont obligé à censurer l’image qu’il avait proposé dans un premier temps.
5°) Enfin, détail ultime, pour les munitions qui reposaient sur le torse nu du mec, l’image a été totalement retouchée, car les balles ont purement et simplement été retirées de la version allemande ! Cela n’a d’ailleurs pas été parfaitement réalisé car on voit que quelques traces de balles subsistent encore sur le torse du héros.
Il est amusant de constater que toutes les versions Game Boy européennes n’ont pas été censurées. Par exemple, la version commercialisée sur le marché anglais (code UKV) est strictement identique à son homologue américaine. Etonnamment, il en est de même avec la version française ! (code FAH). Par contre, les pays scandinaves (code SCN) ont eu droit à la même jaquette censurée qu’ont eue les Allemands, les Suisses et les Autrichiens.
Il est aujourd’hui assez mystérieux de comprendre pourquoi certains pays ont eu des versions censurées, et pourquoi d’autres pays y ont échappé. Il faudrait pour cela rencontrer les responsables de l’époque, mais nous parlons de jeux vieux de 27 ans, et dont l’éditeur originel (Jaleco) n’est même plus en activité sur le marché des jeux vidéo. Autrement dit, c’est quasiment mission impossible même pour Player Spirit…
Terminons cette analyse de la série des Ikari no Yousai en vous dévoilant la jaquette du deuxième épisode, toujours sur Game Boy, mais qui cette fois fut exclusivement paru au Japon. Nous constatons que tous les codes du premier épisode sont encore présents : un héros lourdement armé, avec des centaines de munitions sur son torse à poil, secondé d’une équipière elle aussi prête à en découdre. Jaleco, ou le changement dans la continuité ! [note maquettiste : inclure ici la jaquette japonaise du deuxième épisode sorti sur Game Boy côte à côte avec celle du 1er épisode]